dépression chute d'icareDe tout temps, les mythes nous ont fourni des réponses rassurantes quand un sujet nous faisait peur.

Sont-ils le plus souvent inoffensifs? Certainement pas dans le cas de la dépression!

Pour la personne qui souffre, les préjugés naïfs des bien-portants sont tout simplement accablants.

Un double effet pervers

Que les troubles de l'humeur nous interpellent est normal. Comment expliquer que cette amie dont tout le monde appréciait l'optimisme voit soudain tout en noir? Qu'est-ce qui a bien pu miner si profondément la confiance de ce parent qui nous a toujours paru sûr de lui? Et ce collègue dont nous envions le dynamisme? On nous dit qu'il sera absent durant encore un mois et que, non, ce n'est pas la peine de prendre de ses nouvelles. Il ne répond ni à ses mails ni au téléphone.

Tout cela nous semble étrange et... Et nous fait peur. Oui, probablement plus que les accidents ou les maladies qui menacent notre intégrité physique. Et plus que les aléas de la vie qui pourraient compromettre notre bien-être affectif ou matériel. Car à tous ces défis-là, nous ferons face avec courage, volonté, détermination. Oh, et même si nous accusions le coup, notre bonne humeur reprendrait vite le dessus. Non? De cela au moins nous aimerions être sûrs!

Voilà pourquoi le mythe d'un état d'esprit globalement immuable et intimement lié à notre personnalité nous rassure. Mais c'est un mythe. Et il a deux effets pervers.

Le premier effet pervers du mythe est qu'il nous rendra tantôt maladroits, tantôt intolérants si ce n'est franchement hostiles, envers celle ou celui qui souffre d'un trouble de l'humeur. Avec beaucoup de patience, nous tenterons vainement de lui "remonter le moral". Et quand notre patience est à bout, il se pourrait que nous nous permettions de lui "remonter les bretelles". La seule conséquence de tels actes, parfois très bien intentionnés mais invariablement mal inspirés, sera d'isoler un peu plus une personne qui fuira nos injonctions auxquelles elle se sent incapable de répondre et nos jugements qui n'ajoutent rien au peu d'estime qu'elle a d'elle-même.

Le deuxième effet est peut-être plus douloureux encore. Il est souvent ressenti par une personne qui traverse un épisode dépressif alors que rien ne paraissait la destiner à une telle épreuve. Si elle était convaincue par le mythe de la personnalité constante, sûre de sa force morale, confiante quant à ses ressources psychiques... Se découvrir soudain vulnérable lui sera insupportable. Sa souffrance sera démultipliée par la honte ou le mépris que lui inspirent ses états d'âme. C'est toute son identité qui paraît alors s'écrouler (voir encadré 1).

Trois idées reçues

Parmi tous nos préjugés concernant la dépression, il y en a trois qui ont vraiment la vie dure!

1 - Non, la dépression n'est pas un signe de faiblesse

Une situation de détresse psychique n'est certainement pas due à un manque de volonté. L'épuisement survient le plus souvent au bout d'une longue période durant laquelle une personne a tout mis en oeuvre pour changer sa situation et sa relation aux autres. Contre un état dépressif ou anxieux envahissant, elle a d'abord lutté de toutes ses forces. Elle a cherché à relever seule ses défis professionnels ou familiaux.

Sa volonté s'est-elle heurtée à trop de résistances? A-t-elle fini par laisser la place au découragement? En apparence, oui. Mais...

Mais la volonté est toujours là. Quand cette personne consulte son médecin traitant et/ou un psychothérapeute, ce n'est pas pour se plaindre. Elle cherche simplement des alliés pour reconquérir son bien-être et elle s'engage souvent avec détermination dans les démarches que les intervenants lui proposent.

2 - Non, personne ne "cherche" la dépression

Un état dépressif ou anxieux est souvent vécu comme envahissant et échappant à tout contrôle.
Il est fréquent qu'aucun événement particulier ne l'explique ou permet de comprendre son intensité.

La détresse psychique ne vient pas punir une personne qui l'aurait bien cherchée ou qui "ferait elle-même son malheur". On ne choisit pas d'être dépressif ou anxieux.

Les états dépressifs et les accès d'angoisse sont le plus souvent vécus comme envahissants et paraissent échapper à tout contrôle. Ils peuvent survenir d'une manière totalement inattendue et brutale. Il est fréquent qu'aucun événement particulier ne les explique. Et que rien ne permet de comprendre leur intensité.

La dépression serait-elle toutefois une réaction naturelle à des facteurs de stress environnementaux plutôt qu'une pathologie? Une perspective évolutionniste (voir encadré 2) suggère qu'elle pourrait faire partie des stratégies d'adaptation de notre espèce. Cela permettrait également de comprendre qu'un accompagnement psychothérapeutique peut s'avérer aussi efficace qu'une prise en charge médicale.

3 - Non, ce n'est pas un "mauvais moment" à passer

Ce qui est faux pour la plupart des maladies l'est tout autant pour le mal-être psychique. Le temps ne suffit pas à tout guérir. Tout n'est pas bénin. Un véritable état dépressif n'est pas une tristesse passagère due à une déception.

Le temps peut même se transformer en ennemi redoutable, qui avive sans cesse l'impression d'échec, la culpabilité et les regrets. Le regard des proches peut devenir insoutenable. Oui, même quand ces derniers se montrent très compréhensifs et compatissants!

À ces sentiments peut venir s'ajouter la crainte du jugement d'un employeur et la peur du regard des collègues, quand les arrêts de travail se multiplient.

Dans ma pratique de psychothérapeute

Même si chaque parcours thérapeutique est unique, presque toutes les personnes qui me consultent pour un état dépressif me confient, à un moment ou à un autre, qu'elles souffrent de l'incompréhension de leurs proches ou de leurs amis ou de leurs collègues.

À quelques mots près, j'entends à chaque fois:

Ah, si seulement j'avais un problème physique, tangible, visible... On me prendrait au sérieux!

J'ai envie d'ajouter qu'on cesserait surtout de confondre les conséquences de la dépression et ses causes!

Ce n'est pas parce qu'une personne reste cloîtrée chez elle qu'elle est dépressive. Ce n'est pas non plus parce qu'elle se couche trop tôt. Ni parce qu'elle mange sans appétit. La forcer à sortir de chez elle, à se distraire ou à mieux se nourrir... Tout cela ne fera souvent qu'augmenter son désarroi.

Un récit sans tabou ni concession

labroJe ne sais pas ce que j’ai, est une phrase inexacte.

Il faudrait dire : je ne sais pas ce que je suis. Comment je suis devenu cet éparpillement, cette réduction d’homme.

J’ai du mal à comprendre comment cela a commencé.

J’essaie de déterminer le moment où les choses se sont détériorées, mais je ne trouve pas.

 

(Philippe Labro - Tomber sept fois, se relever huit - Page 28)

Un avantage évolutif?

darwinEt si la détresse psychique était, pour une part importante, liée à des conditions de vie qui mettent à l'épreuve les facultés d'adaptation de notre espèce? La dépression et le repli temporaire qu'elle induit pourraient alors procurer un avantage évolutif en inhibant temporairement les comportements compétitifs.

D'un point de vue évolutionniste, nous rappelle un chercheur français, nous sommes identiques à ces cueilleurs-chasseurs nomades dont seulement 10.000 années nous séparent. Médecine et psychologie devraient peut-être s'enrichir d'une réflexion psychosociale pour aboutir à une meilleure prévention d'un phénomène prévisible... Pour ne pas dire normal.

(Source: Neuropsychiatrie - Tendances et Débats)