famille_introDans l’article Familles de schizophrènes et perturbations de la communication, Hendrick (2002) revient sur le terrain, miné par les communications peu adroites des premiers systémiciens*, des dysfonctionnements familiaux qui pourraient être associés à l’étiologie de la schizophrénie.

L’auteur indique à juste titre que le concept EE (cfr. supra Psychoéducation familiale) est aujourd’hui considéré comme opérationnel. Il y voit le signal d’une reconnaissance implicite du fait que le milieu peut être un facteur dans le déclenchement ou le développement de la maladie. Le chercheur s’étonne, dès lors, de voir qu’un autre concept comme celui de la communication déviante (CD), qu’il estime validé par la recherche, soit quasiment inconnu dans le monde francophone. Notons cependant à cet égard que nous avons vu (cfr. supra Psychoéducation familiale) qu’aux E.U., le PORT ne considère déjà plus le facteur EE comme une indication pour un accompagnement familial, adoptant une position cohérente avec un discours de la famille comme agent thérapeutique.

La CD est définie comme une communication vague, ambiguë, illogique et idiosyncrasique. Elle caractériserait les échanges dans une famille dont l’un des membres souffre d’une maladie mentale grave et s’accompagnerait d’une perturbation de l’attention conjointe. Parmi les recherches ayant montré une certaine corrélation entre schizophrénie et CD au sein d’une famille, celle qui permet à l’auteur de considérer les facteurs psychosociaux comme participant à l’étiologie de la maladie concerne des enfants à risque (de mères diagnostiquées schizophrènes) adoptés par des parents présumés sains.*Ce qui permet exactement de déterminer que les parents adoptifs ne seraient pas « porteurs » d’une charge génétique n’est malheureusement pas explicité. L’étude en question a toutefois seulement fait apparaître les signes d’un trouble de la pensée qualifié de « pré-schizophrénique » établi en ayant recours à des sous-échelles de l’indice TDI (Thought Disorder Index). Elle apparaît néanmoins mieux soutenir le propos de l’auteur que la déduction surprenante que lui inspire l’observation de la résistance de la CD parentale aux programmes de psychoéducation familiale : nous ne comprenons pas ce qui permet d’affirmer que cette donnée viendrait confirmer une hypothèse quelconque quant à la préexistence de cette CD ni ce qu’une telle hypothèse éclairerait.

Avant de conclure que, dans le champ pratique de la psychothérapie, toute suggestion d’une étiologie familiale demeure « politiquement incorrecte », cantonnant la recherche des systémiciens à une ambition purement théorique, l’auteur situe la CD dans des perspectives développementales, psycholinguistiques et systémiques jusqu’ici peu explorées.

L’attention conjointe, dont la CD signale un déficit, est en effet au centre de processus très précoces (observables dès 4 mois) au cours desquels le bébé suit le regard de l’adulte et se fixe sur un objet qui devient ainsi un « référant » commun préparant l’accès à une représentation symbolique par le langage. L’affectivité entre l’adulte et l’enfant joue un rôle important ce qui amène l’auteur à penser que l’apprentissage qui intervient là et qui prépare aussi les premières actions conjointes, dépend de la qualité de la relation autant sinon plus que de facteurs innés.

Rappelant les expériences « still face » et les conduites de ré-accordage qu’on observe chez les bébés dans de telles conditions, il estime qu’il n’est pas improbable qu’un enfant moins expressif laisse, à son tour, sa maman démunie. Cela pourrait compromettre l’accès à une attention et à une action conjointes et les résultats observés bien plus tard en termes de CD pourraient être les marqueurs d’une telle perturbation très précoce.

Nous avons vu (cfr. supra Identité parentale) que c’est le plus souvent chez l’adolescent ou chez le jeune adulte qu’interviennent les premiers épisodes menant au diagnostic de la schizophrénie. La relation entre les parents et l’enfant tend alors vers une plus grande indépendance que la maladie vient compromettre. Serait-ce en partie parce qu’une CD n’aurait pas permis une négociation franche de la nouvelle place que le jeune doit occuper dans le système familial ? L’auteur suggère en tout cas que le concept permet, ici également, de mieux comprendre les interactions entre des prédispositions génétiques et l’environnement.

Dans une lecture systémique de la réalité familiale, il rappelle à ce même titre que les perturbations observées au niveau de la communication peuvent avoir pour origine un accordage des parents ou de la fratrie à des comportements infra-cliniques d’un enfant qui développera ultérieurement une maladie.

Pour notre part, nous sommes toujours un peu surpris quand nous voyons la famille abordée non comme un système de ressources parmi d’autres et probablement comme l’un des plus précieux dont une personne puisse disposer, mais plutôt comme le théâtre exclusif des psychodrames qui la détruisent et comme le seul foyer de ses pathologies mentales et ce à l’exclusion de tous les autres lieux de socialisation et des médias qui prennent aujourd’hui, dès la plus petite enfance, une place importante.

La théorie familiale systémique situe tous ses déterminants au sein d’un seul petit noyau qu’il conviendra peut-être, un jour, d’élargir.

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* Nous rappelons que parmi les quatre signataires du célèbre Toward a Theory of Schizophrenia (Bateson, Jackson, Haley, & Weakland, 1956) un seul était psychiatre. Une partie importante de la littérature appartenant au courant systémique est l’œuvre de penseurs brillants qui nous paraissent souvent manquer singulièrement d’empathie. Il n’est pas rare qu’elle délivre des messages à la fois abstraits et hautains qui nous semblent difficilement recevables par des personnes en détresse.

Sources

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